« Ultreïa ! » : la Vendée sur le chemin de Compostelle
Depuis des siècles, les pèlerins marchent sur les différents chemins qui mènent à Compostelle, au tombeau de l’apôtre Jacques le Majeur, découvert au début du 9e siècle. Quête spirituelle, pèlerinage ou défi sportif ? Les raisons varient, les générations aussi, mais tous ont la même conclusion : « On rentre du Chemin différent »
« Ultreïa ! ». C’est le cri lancé depuis le Moyen-Age par les pèlerins qui prennent la route vers Compostelle. Il peut se traduire par un encouragement à aller « en avant, plus haut, plus loin ! ». Du courage et de la persévérance pour tenir : c’est le bagage nécessaire pour se mettre en marche et parcourir les centaines de kilomètres sur les chemins balisés au fil des plaines et des montagnes. En Vendée, bon nombre de personnes appartiennent à la grande famille des pèlerins de Saint Jacques. Jeunes, professionnels, retraités, seuls ou en groupe, ils se sont un jour lancés sur le Chemin. Les motivations sont diverses : quête spirituelle, besoin de faire un break dans le tumulte de la vie ou encore moment propice lorsqu’arrive la retraite.
C’est le cas de Monique Riand, qui habite la Roche-sur-Yon, membre de l’Association vendéenne des pèlerins de Saint Jacques. Avec son mari, elle a marché sur le Chemin régulièrement entre 2002 et 2015. « Il est d’abord parti seul la première année de sa retraite. Lorsqu’il est rentré, même s’il n’a pas tout raconté, j’ai réalisé qu’il avait vécu quelque chose de très fort. J’ai eu alors envie de le vivre moi aussi ! », explique-t-elle avec enthousiasme. Chaque année, leur parcours est différent, mais la motivation est toujours là. « J’aime cette sensation de liberté que l’on a lorsque l’on part et que l’on ferme la porte de chez soi. Cela nous permet vraiment de prendre du recul sur la vie et de nous recentrer sur l’essentiel ». Pour cette grand-mère qui a emmené cet été trois de ses petits-enfants marcher entre Moissac et Eauze, la marche sur le Chemin est bien une parenthèse spirituelle et sportive. « Pour moi, le Chemin est comme un monastère à ciel ouvert », dit-elle joliment. « Au lever du jour, lorsque l’on commence la marche, on ne peut s’empêcher de prier le Seigneur, d’admirer la Création ». Elle confie aussi apprécier les temps de prière, messes ou veillées, proposées au gré des haltes.
Pour Marie-Thérèse, une de ses amies, également membre de l’association, l’envie de partir sur le Chemin est venue peu à peu, après des lectures et des témoignages dans les magazines. « Je m’étais dit que je partirai un jour, sans savoir exactement quand. C’est en 2005 que je me suis décidée. Je n’ai marché qu’une semaine, mais cela a suffi pour que le virus soit pris ! ». Pendant huit ans, elle a ainsi marché entre une à deux semaines pour finalement arriver à Saint Jacques. « C’est vraiment une belle parenthèse que l’on vit. Une bulle qui nous permet de vivre de belles choses ».
Le Chemin révèle la fragilité de l’Homme
Le Chemin est aussi source d’enrichissement et permet de grandir spirituellement. En effet, si l’enthousiasme du début est toujours là, les épreuves physiques ne manquent pas. Le corps a ses limites, éprouvées par les pieds au fur à mesure que s’égrènent les kilomètres parcourus ! Tous en témoignent : le Chemin révèle la fragilité de l’Homme. « Lorsqu’il pleut, que la fatigue est trop grande, les difficultés du Chemin peuvent paraître insurmontables. Mais c’est aussi l’occasion de ne pas se plaindre, de prendre sur soi, car on n’a pas le choix, il faut continuer d’avancer. La difficulté doit être dépassée ». Le Chemin invite aussi au dépouillement, à n’emporter que l’essentiel et le minimum vital.
Confiance et persévérance vont de pair avec la fidélité dans les épreuves. Un combat physique mais aussi un combat spirituel. L’envie d’abandonner lorsque cela devient trop difficile. Ainsi, la marche travaille le corps et l’esprit. Elle renvoie chacun à ses propres limites et ses fragilités. Nombreux sont ceux qui ont été tentés d’abandonner au bout de quelques jours, lorsque les ampoules aux pieds apparaissent. Mais tous repartent ! Pour les pèlerins, c’est l’occasion d’expérimenter la confiance en Dieu, « qui ne nous abandonne pas et qui est là, à nos côtés, sur le Chemin ». Mais c’est aussi l’occasion d’expérimenter la dimension fraternelle, incontournable sur le Chemin !
La fraternité incontournable sur le Chemin
Car c’est bien ce qui fait la singularité du Chemin. Les innombrables rencontres entre Français, mais aussi avec les nombreux étrangers qui, venant du monde entier, marchent vers Compostelle. Des rencontres qui marquent et qui permettent de faire naître de belles amitiés qui demeurent, une fois le pèlerinage terminé. Monique et Marie-Thérèse en sont témoins et pour elles, « il est même difficile de mettre des mots sur ce que nous vivons. Sur le chemin, on est tous à la même enseigne, sans étiquette. Il y a une vraie attention aux autres qui est présente et vraiment touchante, particulièrement lorsque l’on marche seul ». Les uns et les autres s’encouragent, peuvent se perdre puis se retrouver au détour d’une route ou d’un lieu d’accueil. « Il y a un vrai respect mutuel entre les marcheurs, même s’il faut se garder de tout angélisme, car il y a parfois des râleurs et des fanfarons », note l’abbé Roland Gautreau, qui accompagne régulièrement des pèlerinages vers Compostelle.
Pour Thérèse Leclair, habitante de la Guyonnière, et membre de l’association vendéenne des pèlerins de Saint-Jacques, cette notion de rencontre et d’échange est très riche. Après avoir marché pendant neuf ans sur les chemins, elle accueille maintenant les pèlerins qui empruntent le Chemin vendéen, au départ de Cugand pour aller jusqu’à Damvix. (comme elle, ils sont une quarantaine d’accueillants en Vendée). Elle ouvre ainsi sa maison, propose le dîner et le petit-déjeuner aux pèlerins. « C’est une magnifique expérience, avec des échanges formidables. Un vrai bonheur de partager ensemble ce que l’on vit sur le Chemin, de se porter les uns les autres par la pensée et la prière », raconte-t-elle en montrant son livre d’or sur lequel sont écrits les nombreux témoignages d’amitié et de reconnaissance. « Il est très rare que je ne reçoive pas de carte postale ou de mail de remerciement ! C’est aussi une belle façon de garder le lien établi, une fois que le Chemin est terminé ». Lorsqu’elle reçoit les pèlerins, Thérèse ne manque pas de leur proposer une visite de l’église de la Guyonnière, où se trouve le trésor attribué à l’amiral du Chaffault. Elle ne manque pas non plus de leur délivrer la fameuse crédencial, attestant du passage sur les différentes étapes du Chemin.
Des marcheurs devenus pèlerins
Une fois arrivé au terme du pèlerinage, il faut rentrer chez soi, retrouver sa vie, ses proches. Les parents des collégiens qui ont marché sur le Chemin en témoignent. « La marche les transforme. Il y a un avant et un après », dit Bérangère Brutschine. « A chaque retour, on a envie de repartir car on a attrapé le virus, en quelque sorte ! », ajoutent Monique et Marie-Thérèse avec humour. La coutume dit : « On part marcheur mais on arrive pèlerin ». L’abbé Roland Gautreau le confirme. « Si le mot « pèlerins » n’est pas utilisé par tous au début, beaucoup le deviennent au fil du Chemin », grâce aux rencontres, aux épreuves, à la contemplation de la Création. « En effet, on ne peut pas ne pas se demander, à un moment ou à un autre : « Mais qui est donc ce Jacques, dont la tombe est à Compostelle ? ». Et cette question conduit ainsi à faire un peu plus connaissance avec ce compagnon de Jésus, cheminant sur les routes de Palestine, devenu son apôtre et un des premiers martyrs de la communauté chrétienne. Il est de ceux qui ont mis leur foi en la Résurrection du Christ et qui se sont mis en route pour « porter la Bonne nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre ». Un compagnon de route à découvrir en se mettant en Chemin ! Alors, « Ultreïa » ?
Anne Detter-Leveugle
Extraits de CEV N°168 – Septembre 2018 – Dossier « La Vendée sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle
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